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Towards a horizontal urbanism

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«Il y a aussi le sujet de la forme. Forme et processus sont des aspects indissociables d’un même phénomène. Il n’y a rien de tel qu’une forme abstraite; il n’y a rien de tel qu’une forme arbitraire ou une forme vide de sens. Forme et processus sont indivisibles.»

Ian McHarg, “architecture in an ecological view of the World” [1970], in to heal the earth: selected Writing of ian L. mcharg, 1998.

 

Tout le monde s’accorde à dire que l’urbaniste a un rôle d’ensemblier. Il porte un récit commun. Mais le récit doit, tout d’abord, se construire, et le projet, c’est-à-dire notre capacité à proposer et à porter des solutions physiques sur le territoire, est une partie essentielle du métier d’urbaniste. C’est cette construction qui motive notre travail, particulièrement à travers le thème du logement, la nature et la ville.

Faire la Ville avec le logement

Lorsque nous avons fondé GRAU en 2010 nous avons d’emblée travaillé avec l’agence belge 51N4E sur la consultation «50000 logements autour des axes de transports collectifs» lancée par la communauté urbaine de Bordeaux. Le plus souvent, le logement est traité soit du point de vue de la qualité (au regard des normes, des coûts de construction, des formes d’habitat standardisées…) soit du point de vue de la quantité. L’intérêt de cette consultation était qu’elle offrait l’opportunité de penser le logement à toutes les échelles : celle de l’agglomération à celle de la construction, en liant étroitement la problématique de la qualité à celle de la quan- tité. Et — chose rare aujourd’hui — la maîtrise d’ouvrage portait une attention extrême aux plans des logements et ne se focalisait pas sur l’esthétique des façades.

Une question était sous-jacente à l’ensemble de l’étude : comment faire ville avec le logement ou, plus précisément, comment faire ville avec moins de diversité programmatique et à partir de la fonction d’habiter? Cette question se pose dans le contexte économique et politique actuel. Si nous avons pu construire dans les années 1990 et début 2000 des nouveaux quar- tiers mixtes, nous faisons aujourd’hui face à un besoin de logements croissant qui nous oblige à agir rapidement et sans forcément avoir les moyens économiques pour atteindre cette mixité.

Ce problème n’est pas spéci que à la France, il existe dans de nombreux autres pays. Depuis plusieurs années, la Suède fait face à une crise du logement sans précédent. Elle aurait besoin de construire 700000 logements en dix ans (pour une population nationale inférieure à celle de l’Île-de-France). Cela nécessiterait un nouveau «programme million» (programme national datant de la n des années 1960 pour construire un million de logements) et toutes les pistes sont aujourd’hui évoquées, y compris la création de loge- ments sociaux qui n’existent pas à ce jour en Suède. Aux États-Unis, le manque de logements abordables — et de logements tout court — touche de plus en plus de zones urbaines alors que ce problème ne concernait avant que des villes comme New York ou San Francisco.

Travailler avec l’existant

Dans ce contexte, il n’est pas question de reproduire les schémas de construction de masse des années 1970. Nous devons faire dans et avec l’existant pour proposer cette nouvelle offre de logements. Mais faire avec l’existant n’est pas à confondre avec faire peu. Des termes comme « plani cation » ou « masterplan » sont presque devenus tabous aujourd’hui alors même que nous sommes face à des questions structurelles lourdes qui doivent avoir leur place dans le débat public et académique : la construction d’une nouvelle offre de masse, le renouvellement urbain de grands quartiers d’habitat, la rénovation énergétique d’un patrimoine privé dégradé… En travail- lant sur l’existant, nous travaillons sur des territoires qui doivent muter et évoluer, parfois fortement, tout en reconnaissant ce qui fait la spéci cité du lieu.

En parallèle, nous assistons à l’émergence d’une culture du projet partagé, avec la mise en place de processus de concerta- tion active et de co-construction. Nous sommes passés du simple discours en réunion publique à la mise en situation de probléma- tiques urbaines pour développer des solutions avec les acteurs concernés. La participation des habitants et de tous types d’acteurs locaux au projet est une réelle opportunité pour plani er la ville à partir des besoins réels des habitants, immédiats et futurs, et éviter ainsi la déconnexion entre le plan et la réalité.

Le problème n’est plus de faire ou ne pas faire de masterplan mais plutôt de dé nir les bons ingrédients du plan et comment les faire émerger ensemble. Il faut donner de la place aux modes de vie, notamment à travers la ré exion typologique, plus qu’à la forme architecturale. Le dé du logement demande des projets de transformation à partir des qualités du territoire et des besoins d’habiter contemporains.

Redonner des qualités aux tissus suburbains

Nous en faisons aujourd’hui l’expérience dans des territoires construits en marge de la ville centre, où se pose la question de la capacité à faire ville, même dans un contexte de faible mixité programmatique. Trois projets sur lesquels nous travaillons actuel- lement abordent cette problématique à différentes échelles : le quartier de Caudéran à Bordeaux (44000 habitants, environ 20000 logements), la cité jardin de la Butte-Rouge à Châtenay- Malabry (3200 logements, 10000 habitants), la cité Claveau à Bordeaux (450 logements, 700 habitants). Majoritairement rési- dentiels, ces trois quartiers forment chacun des tissus urbains bien spéci ques. Par tissu urbain nous entendons un environne- ment habité, qui comprend les formes bâties et paysagères, les espaces de la mobilité individuelle et collective, les usages… C’est un morceau de territoire qui forme un ensemble cohérent plutôt qu’une juxtaposition d’objets ou logiques individuels. Il peut ainsi évoluer de façon durable.

Nous accordons de l’importance à cette notion du tissu, car elle contient les qualités de la ville, qu’il s’agisse d’un tissu urbain constitué ou de tissus suburbains, moins clairs dans leur spatialité mais porteurs, eux aussi, de qualités, de con its et de potentiels.

Le discours contemporain sur le retour à la ville et à la densité est étroitement lié à celui du développement durable, à l’image de tous les écoquartiers que l’on voit eurir en Europe et ailleurs. Mais il ne faut pas oublier qu’une partie de l’attractivité des grandes villes aujourd’hui vient aussi d’une baisse de la population par rapport aux villes du xixe siècle avec le déplacement d’une partie de ses habitants vers l’étalement urbain si grandement critiqué aujourd’hui. La ville « dense et gentille » du xxie est indissociable de ses espaces suburbains, bien plus grands, et trouver des façons de vivre durablement dans ces territoires est autant si ce n’est plus crucial que dans les centralités denses.

En France, chaque fois que la population métropolitaine augmente d’un habitant, environ 1 500 m2 de territoires sont arti cialisés. Ces chiffres, loin de chercher à faire peur, doivent nous pousser à explorer des formes de densité qui font sens, pas seulement pour les citadins convaincus, mais également pour les personnes qui rêvent de grands terrains et d’espace.

L’individuel rapproché

La maison individuelle ne peut être la seule solution (si la démarche BIMBY — Build in my Backyard — explore depuis plusieurs années ce potentiel, un retour d’expérience manque encore pour appuyer son développement de façon extensive). Cela nous conduit aujourd’hui à explorer la densité horizontale, soit la manière d’aug- menter la densité dans des territoires suburbains à travers des formes résidentielles basses qui conjuguent qualités individuelles fortes avec un certain mode de vie plus rapproché. La notion de «rapproché» ne se focalise pas sur la densité mais plutôt sur la production d’un environnement plus urbain et plus collectif sans que celui-ci ne soit imposé.

Dans un contexte de crise climatique, dans lequel nous devons tous limiter notre impact sur l’environnement, il faut des projets qui incitent à faire un pas vers des espaces partagés sans sacrifier les qualités privées. De nombreux exemples d’habitat individuel intéressants existent aux États-Unis qui tendent à produire de vrais tissus urbains. Les cités jardins, en Europe et ailleurs, constituent aussi des exemples remarquables.

Quelles que soient les solutions proposées, elles doivent pouvoir simpli er le quotidien des habitants. En matière de mobilité, par exemple, ce n’est pas en rendant la vie quotidienne plus dif cile aux automobilistes dans ces territoires qu’il sera possible de réduire l’utilisation de la voiture mais en diversi ant l’offre des modes de déplacement et en offrant des micro services, tels des abris pour les vélos et des stations de pompage. Ce type de services publics peut servir l’urbanité.

Pour une maîtrise d’ouvrage publique forte

Alors même que les acteurs privés assument un rôle de plus en plus important dans les processus de fabrication de la ville nous travaillons aujourd’hui quasiment exclusivement pour une maîtrise d’ouvrage publique. Si la ville se construit de plus en plus avec le privé, nous sommes convaincus que le public a un rôle essentiel à jouer dans les processus de transformation des territoires construits et dans sa capacité à offrir des environnements habités durables, notamment en marge de la ville centre. L’enjeu de ces territoires dans la croissance métropolitaine est capital. Ils appellent à de vrais projets et les collectivités publiques doivent en être les initiateurs. À l’heure où les habitants des villes européennes se mobilisent pour un retour de l’investissement public dans certains secteurs, notam- ment énergétique, leur engagement dans le logement est d’autant plus crucial et nous devons en tant qu’urbaniste être proactif.

 

GRAU
publié dans «Jouer avec l’incertitude», Ministère du Logement et de l’Habitat Durable, éditions Paranthèses, 2016