Une boite à outil pour faire projet par le logement
50 000 nouveaux logements doivent s’insérer de façon douce et presque invisible dans la substance de la ville, contribuant, par un changement culturel progressif, au phénomène de métropolisation de Bordeaux et son agglomération. Ils ne sont pas destinés à fabriquer une nouvelle ville, mais doivent au contraire construire la métropole à partir de l’existant.
Cela implique de comprendre les conditions de la ville. Bordeaux, tout comme Los Angeles, bénéficie d’une qualité de vie individuelle en rapport avec le territoire, la nature et la mobilité. Son territoire est majoritairement diffus, fragmenté et horizontal, fait d’une collection de villages, pavillons, natures, vignes et quelques émergences. Il a le potentiel de devenir un vrai référent spatial et culturel dans la manière de faire la ville et de la densifier.
En ce sens, «50 000 logements» est autant un projet de logement qu’un projet de relecture du territoire, pour en identifier les qualités et potentiels avec lesquels nous pouvons agir. Nous avons défini un ensemble d’outils de travail qui nous ont permis progressivement d’affiner la question ainsi que notre compréhension du territoire : 7 conditions bordelaises, 4 hypothèses de projet, 4 concepts opérationnels et 1 boite à outils.
La boîte à outils répertorie dix-huit exemples de logements qui expriment des qualités qu’il est possible de rechercher à Bordeaux. Ces projets constituent un corpus qualitatif, non limité, dans lequel nous pouvons puiser pour définir de nouvelles typologies. C’est un outil de choix et de négociation, mais également de benchmarking, qui permet d’imaginer la production quantitative et qualitative de logements par des acteurs différents.
Cette recherche typologique part d’une hypothèse architecturale et culturelle : construire la ville avec des densités horizontales et des densités émergentes. Il existe aujourd’hui dans la CUB des éléments qui entretiennent un certain rapport au territoire : l’urbanisme horizontal, infiltré par la nature, ou les émergences collectives, dans leur stature par rapport à l’étendue, semblent bien cohabiter avec le paysage, la culture et le climat bordelais. L’hypothèse cherche à définir, à partir de ces éléments de l’existant, des occupations domestiques du territoire qui sont ouvertes et discontinues, en innovant sur la manière de pratiquer le territoire depuis son logement et en cherchant à construire des systèmes plus denses, permettant ainsi au plus grand nombre de toucher à ces qualités.
La boîte à outils se décline selon différents facteurs (densité, diversité, structure, programmation…) et cherche à intégrer deux données fondamentales de l’habitat : les conditions bordelaises et l’économie du logement. En effet, s’il est intéressant de construire le logement par rapport au territoire, c’est en pensant à la fois l’économie et les conditions territoriales que l’on peut fabriquer un mode de vie attractif. La combinaison de densités horizontales et de densités émergentes offre un équilibre financier qui peut concurrencer le modèle R+4, tout en générant des nouvelles qualités.
Ainsi, ce sont plus que des possibilités d’habitat qui sont exprimées à travers cette collection typologique : elle permet d’offrir une réponse stratégique au développement des territoires suburbains. En construisant une stratégie à partir du logement, qui croise économie et territoire, la boîte à outils permet de basculer dans une nouvelle condition métropolitaine. C’est un glissement qui propose de faire projet à partir de petits morceaux qui existent dans des échelles de mixité et de pratique multiples. Il s’agit en réalité de déplacer la question de la ville en tant que forme vers la ville en tant que nouvelle culture métropolitaine, porteur d’un mode de vie et d’un comportement spécifique.
En tant qu’instrument, la boîte à outils permet de montrer que les zones périphériques faiblement développées ont encore la capacité d’évoluer. Le logement devient le point de départ qui permet de montrer les opportunités d’un «retrofit» suburbain là où la ville classique et mixte n’ira pas. Dans une époque où le paradigme de la consommation et de l’abondance est remis en question, ce «retrofit» est l’un des problèmes les plus urgents auxquels est confronté notre société urbaine.
Susanne Eliasson et Freek Persyn, GRAU/51N4E
publié dans «Bordeaux, métropole européenne», éditions Dominique carré, 2014